Au départ – Le commencement
À l’été 2022, deux séjours ont été organisés dans le village de Conques. En juillet, ce sont cinq femmes et quatre hommes, puis, en août, quatre femmes et six hommes qui attendent sur le quai de la gare d’Austerlitz, prêts à prendre le départ. Ils sont originaires de Gambie, du Nigéria, d’Irak, d’Afghanistan, du Congo, de Guinée Conacry, du Pakistan, du Sénégal, du Mali et du Soudan. Quelques un.e.s avaient déjà participé au séjour de mai à l’Hermitage, et beaucoup se retrouvent quelques mois plus tard pour le séjour d’août.
Et si les débuts du premier séjour sont teintés d’incertitude, de peur de l’inconnu, c’est avec le plaisir de retrouver des visages connus que débute le second, comme le traduit l’aisance avec laquelle les discussions s’engagent. Lors du premier cercle de présentation, les membres du groupe n’ont d’ailleurs aucun mal à exprimer leur bonheur d’être ici, ensemble, pour revivre ce moment à part.

L’énergie du collectif
Les échanges et l’enthousiasme du partage sont rendus naturels par la belle connivence qui se crée entre les jeunes. Cette complicité ne tarde d’ailleurs pas à s’exprimer lors des ateliers d’art-thérapie.
Au cours du premier atelier d’août, des regards s’échangent, une détente s’installe et des rires surviennent. D’abord un peu forcés, pour l’exercice, puis avec un réel entrain, certain.e.s éclatent en de vrais et sincères fous-rires.
L’après-midi ensoleillé qui s’ensuit paraît propice à la baignade, au creux des bras de la rivière qui chemine entre les montagnes. La fatigue du voyage se fait sentir, mais l’air est au loisir et à la détente. La bienveillance permet le lâcher-prise ; les sourires et les rires se découvrent et surtout se communiquent, dans le cadre réconfortant du village, bien loin du quotidien.
Pendant les deux séjours, le groupe se mue en une entité accueillante, que même les plus réticent.e.s finissent peu à peu par intégrer. Lors d’un atelier où chacun.e est invité.e à faire des grimaces, l’un des participants se met dans un premier temps à l’écart. Il reste un moment seul, avant de rejoindre le groupe à nouveau, petit à petit, devant les sollicitations de ses camarades. Encouragé par ses pair.e.s, il va même jusqu’à prendre la posture de chef d’orchestre.
C’est cette même énergie qui, encore, permet de dépasser la fatigue lors des ateliers qui sollicitent le corps. La danse est souvent à l’honneur : en donnant de la place au mouvement, tout en douceur et en émotion, sa pratique fait progressivement s’évanouir la lassitude s’évanouir pour voir enfin la confiance s’installer.
Lors du cinquième atelier d’art-thérapie aoûtien, les participant.e.s s’engagent dans une marche où, en musique, leurs corps, leurs gestes, jouent à se désarticuler. Alors qu’une des encadrantes fond en larmes, rattrapée par l’émotion, ce sont les jeunes qui s’empressent, dans un élan de solidarité, de venir la réconforter. La confiance devient très forte au sein du groupe, et perdure tout au long des deux séjours.
Au cours d’un atelier chorégraphique de juillet, chacun.e est invité.e à danser en duo, les yeux bandés à tour de rôle, sous le regard et l’attention d’un partenaire prêt à le protéger. Toutes ces séances permettent d’explorer l’aspect très relationnel du soin de l’autre, toujours au sein du groupe, dans la confiance mutuelle.
Lors du dernier atelier de l’été, deux équipes miment une confrontation imaginaire, à l’aide de mouvements de combat ou de provocation, pour déboucher, en seconde partie, sur des mouvements symbolisant l’amour. Au travers de ces exercices où tou.te.s s’engagent, le groupe se soude, le sentiment d’appartenance de chacun.e se développe, créant naturellement l’espace et la sécurité nécessaires à l’affirmation des individualités.

L’expression de soi
Neuf ou dix bénéficiaires, ce sont autant d’individus aux parcours de vie différents, souvent marqués par les blessures des traumatismes. Parfois, certain.e.s manquent de confiance en eux ; ils ont des doutes, des craintes, des appréhensions, qui les poussent au début à rester en retrait. Mais le confort et l’espace d’expression que créent les ateliers les libèrent au fur et à mesure : ils permettent aux jeunes de se détendre et de s’exprimer.
Les ateliers se parsèment de moments où chaque membre du groupe peut s’affirmer, prendre de la place pour soi et en laisser aux autres.
En parallèle, et pour la première fois cet été, Limbo a choisi de mettre en place un cahier, accessible à tous et en tout temps à l’abbaye de Conques. Cette expérience que nous espérons durable ouvre la possibilité à chacun des jeunes d’y écrire un mot, d’y griffonner un dessin, pour laisser, dans le village, une trace de leur passage. Pendant les deux séjours, ce cahier de Limbo s’enrichit des compositions de celles et ceux qui tiennent à y déposer leur petite touche, leur signature.
Plus les jours passent et plus la confiance au sein du groupe se renforce, car à travers cette affirmation individuelle, c’est le lien de chacun.e avec les autres qui s’approfondit. Chacun.e se sent plus serein.e et peut laisser aller ses émotions. Talal, lors d’une soirée en compagnie des frères, est particulièrement ému par les morceaux joués par le frère organiste, au point de venir l’embrasser à la fin du concert, et lui avouer : « Vous êtes comme un ange, vous me donnez beaucoup de calme ».
L’expression personnelle passe aussi par les activités manuelles et artistiques. En juillet, lors d’un atelier, les membres du groupe choisissent des images provenant de magazines et les rassemblent sous forme de collage sur une feuille blanche. Tou.te.s sont concentré.e.s, font abstraction des autres pour laisser libre cours à leur imagination. Un moment de parole suit pour présenter les réalisations. Plusieurs ont choisi des images qui leur rappellent leur pays ; le thème de la famille est omniprésent. Un autre atelier, en août, propose aux jeunes de modeler de la terre selon leurs envies. Pour certain.e.s, ce sera la représentation d’un souvenir joyeux du séjour. Pour d’autres, un souvenir du pays d’origine. Ils choisissent ensuite de garder ou d’offrir leur œuvre. Sekna offre la sienne à Ladji.
Les personnalités se dévoilent ainsi jusqu’au repas de fin de séjour, moment particulier, qui devient l’occasion d’agrémenter le buffet en cuisine, et faire goûter aux autres des plats de leurs pays d’origine.

L’immersion dans la vie du village
Les séjours de résilience, ce sont aussi des temps de refuge dans le cadre reposant qu’est le village de Conques, au cœur de la douce vallée aveyronnaise. Et c’est aussi par des découvertes, et surtout des rencontres, que la reconstruction fait son chemin. Au cours de l’été, les jeunes ont l’occasion de s’essayer à diverses activités sportives et artisanales auprès des habitants de la région. L’un de nos encadrant décide d’embarquer tout le groupe avec lui pour une session aïkido. Tous les participant.e.s y éprouvent leur concentration, tou.te.s sont volontaires et l’activité se déroule dans un silence impressionnant. Pour ne pas blesser l’autre, l’attention et la bienveillance de chacun.e surviennent naturellement. Le cours de Qi Gong avec Dominique offre à nouveau un beau moment de partage et d’apprentissage. Les jeunes y entretiennent le sens du Qi Gong « léger » avec la respiration « du bébé », lors de laquelle le ventre s’enfle. S’ensuit un exercice de déblocage des articulations, puis une initiation au Qi Gong des moines Shaolin, plus dur, plus martial, qui leur permet à tou.te.s de se défouler un peu plus.
Des univers différents continuent de s’ouvrir, comme avec l’atelier de gravure artisanale de Christiane, une habituée des séjours, et qui accueille régulièrement les jeunes avec bonheur. Quant à Philippe, le maraîcher, il leur propose un tour dans ses champs et ses serres, tout en échangeant, pédagogue, avec celles et ceux dont la curiosité se pique devant ses cultures.
Beaucoup connaissent bien l’agriculture de leur pays d’origine et certain.e.s se remémorent des souvenirs de leurs villages. Le lien avec le lieu de naissance revient aussi lors de la visite de la forge de Denis, à cinq kilomètres de Conques. Les jeunes y assistent à une démonstration avec la réalisation d’un couteau. Beaucoup connaissent déjà ce métier, et plusieurs ont dans leur famille un parent qui était forgeron. L’émotion se fait ressentir, et tous redoublent d’intérêt pour l’activité.
C’est enfin dans l’exploration du village et de ses alentours, lors de promenades ou d’excursions à la rivière voisine, que les jeunes prennent le temps de se ressourcer. Lors de ces temps de pause, s’installe une douce atmosphère de sérénité, et tou.te.s profitent enfin d’un précieux moment de répit. C’est l’occasion idéale pour embarquer dans des canoës avec Julie. Et malgré les premières réticences, le cours d’eau se transforme rapidement en un agréable lieu de détente et d’amusement.

Lors des séjours, la reconstruction s’engage aussi grâce aux paisibles paysages qui s’étendent le long de la vallée conquoise, véritable sanctuaire. Un matin de juillet, Stéphanie, art-thérapeute, accompagne le groupe au milieu des bois, en pleine nature. Plusieurs exercices de respiration permettent au groupe d’aiguiser leur conscience, et de s’attacher aux sensations que la forêt leur procure. Les yeux fermés, il faut être attenti.f.ve aux caresses de l’air frais sur la peau, sentir aussi toutes les odeurs de la végétation et de la terre et écouter tous les petits bruits environnants. Les participant.e.s se mettent ensuite par deux ; l’un prend le rôle de guide pour l’autre, qui doit fermer les yeux et avancer en toute confiance avec l’appui de son partenaire, tenu par la main ou par le coude, sans parler, dans un silence complet.
La séance prend fin dans une clairière au bord de l’eau. Les participant.e.s, toujours sans un bruit, avancent pour venir se placer autour d’un gros arbre. Chacun.e pose ses mains à plat sur le tronc puis lève les yeux et observe les branches, les feuilles, les nuances de couleurs, les frémissements des bois au gré du vent. Quand vient le temps du cercle de parole, tout le monde témoigne de la profonde relaxation qui a été ressentie. Certain.e.s révèlent qu’ils ont eu un peu de mal à s’abandonner à leur guide au début de la marche aveugle, mais que l’attention que leur portait leur partenaire a fini par les rassurer. La plupart avoue avoir tenu à prendre soin de l’autre lorsqu’ils avaient le rôle de guide, créant ainsi ce très fort lien de confiance, aussi apaisant que sécurisant.
Et ce lien qui s’est noué en ces quelques jours, tou.te.s les jeunes souhaitent l’entretenir. Il s’agit d’une énergie, et d’une force que chacun emporte avec soi au moment de reprendre sa route, et de suivre sa propre direction.
Chacun.e repart avec une expérience unique et personnelle. Pour Simone, c’est la découverte d’un autre espace, hors de Paris, et surtout la bienveillance qu’elle a ressentie tout au long du séjour grâce au soutien du groupe. Sekna, elle, dit avoir été très sensible à la proximité avec la nature. Elle évoque les relations d’amour qu’elle a tissées avec les autres, des relations qui continueront de se construire dans le temps, bien après le retour. Mercy paraît très émue : elle évoque son apprentissage, celui de pouvoir être elle-même, expliquant qu’elle a finalement réussi à profiter des moments de bonheur et de ces rencontres si précieuses, malgré ses peurs et son manque d’estime en elle. Pour Ladji, qui lui s’était montré d’abord plutôt solitaire, cherchant les premiers jours à s’isoler du groupe, le séjour lui a permis de passer du silence aux plaisanteries. Ce qu’il sait après toutes ces heures passées ensemble, c’est qu’il est « avec des amis maintenant ». Talal quant à lui, choisit de se confier en une phrase sur ce qui l’a touché chez chaque personne. Il signifie au groupe son amour et sa volonté de participer aux ateliers d’art-thérapie organisés chaque semaine à Paris.
Le retour, un nouveau départ
Au travers de tous ces témoignages personnels et intimes, les thèmes de la rencontre et de la cohésion du groupe transparaissent.
Stefano, l’un des hospitaliers de Conques, nous confiait lors d’un repas : « La rencontre permet d’accéder à plus de conscience – de soi, du monde – de reprendre confiance, d’avoir envie d’avancer ; c’est la rencontre qui soigne. »
Et c’est conscience et cette confiance en l’autre que chacun.e emporte au moment de reprendre sa route.