Les séjours à Conques

Novembre 2022

La rencontre avec la vallée conquoise – les débuts de la reconstruction

Début novembre, les habitant.e.s du village de Conques et les frères de l’Abbaye de Sainte Foy nous ont une nouvelle fois accueilli.e.s pour un séjour d’une semaine. Au départ de la gare d’Austerlitz, ce sont cinq femmes et cinq hommes qui se tenaient prêt.e.s au voyage. Venu.e.s du Congo, de Côte d’Ivoire, du Soudan, de Guinée, du Mali ou encore de Mauritanie, la plupart se rencontraient pour la toute première fois.

Le premier jour est consacré à la découverte : les présentations des un.e.s et des autres, la rencontre avec ce lieu si particulier en plein cœur des montagnes… Malgré la fatigue qui suit la nuit passée dans le train, et malgré les différences de langues qui s’entremêlent au sein du groupe, les jeunes font preuve de volonté et de bienveillance. L’atelier d’art-thérapie, dédié au modelage de la terre, se déroule très calmement. Tasse, soucoupe, pot à café, pâtisserie… C’est avec attention et application que les poteries prennent vie, se dessinent au gré d’un travail de coopération, où chacun.e prend soin d’améliorer et d’embellir les objets que lui confient, tour après tour, les autres participant.e.s.Dès l’après-midi, les émotions sont fortes. En se baladant dans les rues du village, l’air de la campagne ou la vue de quelques poules suffit à raviver souvenirs et nostalgie. Plus tard, à l’heure du goûter dans la grange de l’abbaye, le groupe se réunit très simplement autour d’un jeu de mikado. C’est le moment où résonnent les premiers fous-rires, tandis que commence à naître entre les participant.e.s, une vraie complicité.

Un temps hors du temps, un refuge pour l’esprit

Les journées qui suivent se teintent, elles aussi, de beaucoup d’émotions. Au deuxième jour, Clarisse, art-thérapeute, propose aux jeunes de former un cercle sous le tilleul près de la grange. Le soleil brille, et en se tenant les mains, le groupe est invité à concentrer son attention sur les sensations. Au contact des peaux, il s’agit de sentir la température – froide, tiède ou bien plus chaude – des mains de ses voisin.e.s, puis de les masser pour les réchauffer, en dénouer toutes les tensions, et répartir leur chaleur dans tout le groupe.

Clarisse propose ensuite de débuter quelques jeux de rythme. Le groupe forme un cercle ; les regards se croisent, quelques premiers sourires s’échangent, à mesure que le mouvement prend de la vitesse. La température est désormais plus douce, la chaleur s’est diffusée.
Ce séjour au cœur de la montagne est aussi un temps pour la découverte d’expériences nouvelles. Balades dans le village et promenades ressourçantes en pleine nature rythment chaque jour les instants de vie des un.e.s et des autres. Un jour, nous nous rendons au Centre Européen de Conques pour assister à une pièce de théâtre musicale, « Les Louves », qui aborde les thèmes de la féminité, de la sexualité et de la religion, de laquelle s’ensuit un temps de partage des ressentis plus ou moins positifs de chacun.e. Lors d’une soirée, le frère Pierre-Adrien nous invite à une visite guidée du Musée du Trésor de Conques, qui passionne, au vu des regards d’admiration qui déambulent entre les objets, par les trésors de ses collections : « Je ne pensais pas qu’un jour dans ma vie, je pourrais voir ce genre de choses », souffle une voix masculine à la sortie du bâtiment.

Un parcours art-thérapeutique placé sous le signe du travail de l’argile

Tout au long de la semaine, les ateliers d’art-thérapie font de l’argile leur matériau principal. Chaque fois, les créations des jeunes leur permettent d’exprimer leur imagination et leur inventivité au service des thèmes choisis. Un jour le groupe se fait potier, le lendemain il se transforme en paysagiste. Une autre fois, explorateur, il creuse dans le bloc de terre pour y découvrir un fabuleux trésor. Les productions sont toujours vouées à devenir collectives, partagées pour être regardées, retravaillées, re-décorées avec la sensibilité des autres. Le mercredi, Clarisse propose à chacun.e d’ériger dans la terre un paysage, en travaillant la sphère que les participants forment entre leurs mains, les yeux fermés, comme s’iels étaient jardinier.e.s. Le lendemain, dotés de mirettes, les jeunes sont invité.e.s à fouiller la terre, à évider leur pain d’argile pour en faire progressivement émerger une silhouette en mouvement.

À la fin de la semaine, chacun.e des participant.e.s fabrique un personnage, puis le place quelque part sur la table comme si elle symbolisait le plan d’un village entouré de désert. C’est à plusieurs que le rôle et l’histoire du personnage se dessine. Plus tard, le groupe revient autour de ces personnages en argile pour venir les “réchauffer”, leur tisser des vêtements, leur construire des abris… Tugas, qui était menuisier au Soudan, use avec aisance du bois et des pinces mis à disposition pour fabriquer ses objets. Le temps semble s’arrêter. Les jeunes sont comme absorbé.e.s par leur travail, qu’iels prennent très au sérieux. À la fin de l’atelier, ces véritables artisan.e.s semblent quitter leur création à grand regret, presque comme s’ils laissaient derrière eux une part de leur identité.

Un séjour en musique et en danses

Régulièrement, les jeunes de Limbo se retrouvent autour des instruments de musique, en solo, en duo ou en chœur souvent improvisés. Certain.e.s découvrent pour la première fois de leur vie le piano, dans la grange de l’abbaye. Dans la soirée du mardi, Amani et Camara débutent une petite improvisation musicale, à l’aide d’un djembé déniché dans la grange. Spontanément, alors qu’ils étaient entrés en désaccord au cours du repas, ils se retrouvent au rythme des percussions, et tous deux invitent celles et ceux qui le souhaitent à les rejoindre. Djeneba ouvre le bal, se saisissant d’un crayon pour battre la mesure sur la table, et très vite, c’est toute l’assemblée qui se laisse emporter dans cette danse effrénée. Verres, casseroles, couverts, tout ce qui passe sous la main devient instrument, avant que Marlène ne prenne l’initiative de guider les voix des un.e.s et des autres à chanter toutes en chœur et dans la bonne humeur.
Un soir, porté par les encouragements d’Yves, encadrant originaire du Vallon, le groupe prend même la forme d’une troupe de danse ! Plein d’entrain, les jeunes s’élancent dans l’apprentissage volontaire et enthousiaste d’une danse traditionnelle et folklorique aveyronnaise, le « Brise-pied ». L’exercice suscite un grand engouement, si bien qu’il ne faut qu’à peine un quart d’heure pour que l’enchaînement de pas de danse ne soit parfaitement maîtrisé. C’est l’occasion idéale pour échanger ses mouvements de prédilection. Amani en profite pour initier ses camarades au « Coupé-décalé ». Camara et Marguerite suivent juste après, et donnent le rythme pour enseigner une danse qu’elles connaissent bien et qui leur vient de Guinée. Après une heure intense, tout le monde est épuisé, mais le sourire colle à toutes les lèvres. Cette cohésion n’en sera que plus forte après le repas de fête qui s’organise dimanche soir : représentation collective du « brise-pieds », puis jeux de DJs et improvisations musicales rythmeront jusqu’au cœur de la nuit sur la piste de danse.

Quels retours pour le séjour de novembre ?

Au retour du voyage, les au-revoir se font souvent difficiles, et en ce mois de novembre, l’émotion envahit le groupe. On se rappelle les bons moments, qui deviendront de bons souvenirs, et on se promet de se revoir et se retrouver aux ateliers d’art-thérapie du mercredi à Paris. « Ces sept jours sont passés comme sept heures » décrit Salah en remerciant le groupe.

 

Au moment de faire le point sur cette semaine, Omar affirme qu’il est très content d’être venu à Conques, et tient à remercier mille fois l’ensemble de ses camarades. Pour Camara, le séjour lui a permis de reprendre des forces, et de se sentir plus en forme qu’auparavant. Quant à Amani, il explique qu’il est venu très « chargé » : « Cela m’a fait beaucoup de bien, de rigoler, de danser. » Pour Marguerite, ce qui prévaut est l’énergie et la motivation qu’elle a trouvé auprès des autres, une « aide » pour traverser les mauvais moments de la vie. Le séjour a pu l’aider à décompresser, et désormais, elle le dit avec force et conviction : « Tant qu’il y a vie il y a de l’espoir. » Véronique, elle, note avant tout les bénéfices que chacun.e pourra tirer de ce voyage. « C’est magique ici », ajoute Djeneba, qui insiste sur le fait qu’elle a passé une bonne semaine et aimé partager ces moments avec les autres. C’est le cœur serré qu’elle traverse cette fin de semaine : comme certain.e.s ici, le séjour de novembre marque son troisième et dernier voyage à Conques avec Limbo.
Enfin, Marlène exprime la tristesse que lui évoquent la séparation et le retour : « À Paris, c’est différent de ce qu’on a vécu ici, c’est comme si un peu de nous restait là. » Ce qu’elle retient malgré tout : des histoires à raconter. En plaisantant, elle affirme qu’après le séjour, ce qui lui manquera est d’être réveillée le matin. « J’ai rêvé ce matin que nous avions tous eu des cadeaux dans une valise… confie-t-elle. Ici nous avons reçu des cadeaux. » Ces cadeaux, ce sont les conseils qui ont été apportés par le groupe. « Chacun a pu donner quelque chose aux autres par rapport à son expérience personnelle. » Pour l’illustrer, elle cite un adage de chez elle : « Quels que soient la pluie, les torrents, un jour cela s’arrête. »