Un rire naissant
Stéphanie, notre art-thérapeute, débute la 1ère séance du séjour avec un exercice de relaxation. Ceux qui sont déjà venus à Conques ou qui fréquentent les ateliers parisiens connaissent bien cette pratique méconnue par les autres. On observe quelques rires nerveux qui se transforment rapidement en respiration profonde grâce à la présence rassurante de Stéphanie. Certains lâchent prise, s’endorment presque.
Puis nous nous asseyons au sol, face à face, autour d’une grande feuille de dessin. Commence alors un moment de création à deux, où nous sommes amenés à communiquer avec l’autre au travers de traits dessinés au feutre. Une musique orientale enveloppe la grange qui nous sert d’atelier et invite chacun à se concentrer. Une fois l’exercice terminé, la parole se libère et chacun partage son expérience du moment. Joan dit retrouver le rire, un son qu’elle avait oublié depuis longtemps. L’espace d’un instant, Khadi a voyagé en Afrique et retrouvé des couleurs perdues.
La ficelle
La veille, nous avons commencé un “jeu des prénoms” qui permet de mémoriser les noms de chacun. Comme être capables de se nommer mutuellement nous semblait être la base pour installer une atmosphère bienveillante, nous commençons la séance d’aujourd’hui en y jouant à nouveau.
Cette entrée en matière est suivie par un exercice de danse à deux lors duquel chaque danseur est lié à son partenaire par une ficelle maintenue tendue. Une des participantes est très affectée et confie que la ficelle lui a rappelé des heures sombres en Libye où elle avait été attachée aux autres prisonniers. Ces cauchemars qui les hantent peuvent survenir à tout moment, à cause d’une ficelle comme ici, mais peuvent aussi les submerger à cause d’un mot, d’une situation, ou tout simplement en fermant les yeux trop longtemps. C’est une des conséquences du stress post-traumatique. Dans l’intimité d’une confidence à l’une des encadrantes, la jeune femme, émue aux larmes, réussira à trouver les mots pour confier ce terrible souvenir que la danse a provoqué en elle.
L’éveil de blessures profondes
Chanter quand le dire est trop dur
Nos lèvres vibrent, nos ventres se gonflent d’air, des “Zzzzzzzz” bourdonnent… Nous commençons la séance d’expression vocale et de chant en échauffant nos cordes vocales. Pour les participants à ce séjour thérapeutique, le chant détient un bienfait particulier : il peut permettre d’exprimer l’indicible. Le “dire” est parfois impossible, alors commençons par “le chanter.”
L’un après l’autre, nous constituons un morceau de chanson lié au son créé par le participant précédent. Cet exercice nécessite une écoute attentive, pas évidente pour tous. La concentration qui demande une attention sensorielle est souvent disjointe chez les individus en stress post-traumatique. L’esprit s’évapore en des lieux passés et a tendance à quitter le corps.
Après quelques tours, la force du chant se laisse entendre et les voix s’harmonisent avec douceur. Le groupe fait lien. L’atelier grimpe en intensité avec “l’exercice du bourdon”, où nous chantons un ronron qui accompagne l’improvisation du chanteur. Chacun à leur tour, les jeunes se laissent porter et partagent une improvisation soutenue par le bourdon du groupe.
















L’espoir et la confiance en l’autre
Ce matin, nous entamons un gros travail : la confiance en l’autre. Après un petit moment de relaxation devenu rituel, les jeunes se répartissent par deux et se mettent dos à dos, chacun prenant appui sur l’autre. Nous massons notre partenaire, ses épaules, son dos ou ses mollets, procurant à l’autre un sentiment de détente et de bien-être. L’exercice suivant consiste à guider dans la pièce, par le bras puis la main, un partenaire qui conserve les yeux fermés. Comme vous pouvez l’imaginer, cela demande un lâcher-prise et une grande confiance en l’autre.
Lors de la seconde partie, chacun doit écrire une lettre à une personne de son choix, réelle ou imaginaire et pourra s’il le souhaite la lire à tous. A une exception près, tous partagent leurs écrits avec le groupe. Les lettres sont adressées à diverses personnes, une mère, une fille, un ami, un dieu… Certains rappellent quelques souvenirs douloureux, d’autres demandent pardon, quelques-uns parlent d’espoir.















La mélancolie du retour
La semaine a été riche et pour ce dernier atelier, nous optons pour une séance plus ludique autour d’un jeu de sons. Un ancien demandeur d’asile aujourd’hui réfugié, accueilli par les frères quatre ans auparavant, est présent. Il se joint au groupe avec sa compagne. Après quelques échauffements, nous entamons un “Circle song”: sur un rythme commun, chaque participant chante à tour de rôle une mélodie, à laquelle s’ajoute celle de son voisin et ainsi de suite, jusqu’à former une chanson commune. Le groupe connaît maintenant l’exercice, et sensibilise notre nouvel arrivant à la pratique. Les jeunes, bien qu’un peu fatigués, se laissent entraîner par l’énergie du groupe et la matinée se termine sur une note joyeuse, entre applaudissements et embrassades.
On sent la fin qui approche, et les derniers moments ensemble sont savourés. Tout le monde semble soucieux de passer cet instant dans une certaine légèreté, car quitter Conques n’est jamais facile. Même après la séance d’art-thérapie, la musique est maintenue. Laisser place à un silence de fond serait prendre le risque d’entendre la mélancolie du départ ou l’angoisse du retour… Alors, chacun à son rythme, se meut dans cet espace ouvert et partagé, se prépare à sa façon à retrouver la charge du béton parisien, des procédures administratives et du sommeil mouvementé… Mais cette fois, ils n’y retourneront pas seuls. Avec la famille LIMBO, sans cesse grandissante, nous nous retrouverons bientôt au 104 à Paris, pour de nouveaux ateliers hebdomadaires.











