Jour 1 – [Réparer les survivants]
C’est le départ d’une aventure d’une semaine vers l’Aveyron. Un voyage vers l’inconnu pour des jeunes qui ne connaissent de la France bien souvent que Paris, quelques villes parcourues sur leur chemin ou nos terribles montagnes des Alpes. Pour eux, même l’association et le projet de la semaine ne sont pas toujours parfaitement clairs. Mais ils ont compris le principal : ils seraient dans un cadre très reposant avec une équipe pour les accompagner et les soutenir dans leur parcours, leurs blessures. Et ils font preuve d’un indéniable courage, d’ouverture et de curiosité pour accepter cette proposition.
Le groupe se retrouve à la gare, au complet. Suite à un désistement de dernière minute, un jeune a été prévenu seulement le matin même et a rejoint à la hâte les autres sans avoir le temps de prendre des affaires. On fera avec, Alexis, encadrant, vide son placard de vêtements. On trouve toujours des solutions.
Une belle ambiance s’installe rapidement avec des chants, des jeux pendant que d’autres voyagent plus en solitaire. Les langues se délient doucement, il faut un peu de temps pour faire tomber certaines barrières.
L’arabe, le peul et d’autres langues résonnent dans les wagons du train qui traverse la France vers l’Aveyron.Le groupe est composé de jeunes aux origines comprenant le Maroc, la Mauritanie, la Guinée Conakry, le Mali, la Centrafrique, l’Afghanistan, l’Irak avec une quasi parité.
Il y a quelques appréhensions concernant ce voyage et son contenu, les camarades que l’on découvre, la nourriture…
L’arrivée à la gare de Saint-Christophe est un petit soulagement, tout comme le bonheur de trouver des visages accueillants et souriants. Plusieurs frères de l’abbaye sont venus nous récupérer.


Jour 2 – [Réparer les survivants]
Le premier matin à Conques a un petit quelque chose de magique. On savait l’endroit hors du commun mais l’obscurité de la nuit lorsque nous sommes arrivés ici laissait bien peu à apercevoir. Ce décor médiéval, au sommet d’une colline entourée d’arbres… Malgré le silence qui régnait, nombre de jeunes n’ont pas trouvé le sommeil. Pour ceux qui ont le sommeil léger, les ronflements ont été source de désagréments. Pour d’autres, les soucis du quotidien et souvenirs du passé les ont suivis jusqu’à Conques. La journée démarre tout de même de bon matin par la première rencontre avec les hospitaliers (bénévoles de l’abbaye), les pèlerins et quelques scouts de France lors du petit déjeuner. Un premier temps d’échange et d’interactions sociales qui permet de s’ouvrir un peu.
Sous l’ombre d’un vieux tilleul, rassemblés en cercle, nos 10 jeunes, nos 4 encadrants et notre art-thérapeute commencent le premier point du séjour. C’est un moment important, qui permet de se présenter, d’indiquer aux autres comment on se sent, de se libérer de certains poids, en toute vulnérabilité. Ce rituel indispensable permet d’installer un cadre de confiance, de bienveillance, de sincérité qui lance la dynamique de la semaine.
Seulement 2 jeunes afghans ont déjà participé à un précédent stage de Limbo, ils ont pris leurs marques ici et retrouvent les visages d’amitiés tissées lors de leur venue antérieure. En retournant à Conques, ils prennent conscience de toutes les avancées que leur ont apportées ce séjour thérapeutique incroyable. Pour l’un d’eux, il a par exemple été déterminant pour retrouver le sommeil après des mois à ne pouvoir s’endormir qu’avec l’aide de médicaments. Il nous dit éprouver un grand sentiment de gratitude et a l’espoir de pouvoir à nouveau parvenir à une transformation profonde.


Jour 3 – [Réparer les survivants]
L’art-thérapie continue pour le troisième matin consécutif. Aujourd’hui quelques instruments sont sortis avec rubans et tissus pour créer un espace de jeu avec le corps, l’espace et créer du mouvement. Lise, l’art-thérapeute, propose ensuite un atelier pour délier les langues, le Gromlo. Plus de français ou d’anglais utilisé, mais seulement les syllabes qui nous viennent à l’esprit. Rythmé par nos intonations, de gestes et de mimiques, un nouveau langage commun apparaît. Fous rires et relâchement garantis.
La matinée se termine en apothéose avec une nouvelle hors du commun. Cissé, jeune malienne au sourire timide mais charmeur, reçoit la validation de sa demande de papiers. Son histoire est approuvée par notre Etat, la nécessité de son accueil reconnue et elle obtient donc un droit de séjour de 10 ans. C’est un soulagement pour elle et une immense joie que nous partageons tous. La célébration ne se fait pas attendre et la nouvelle est annoncée à tous les bénévoles de l’abbaye qui se réjouissent également. Les pensées vont aussi vers tous ceux qui restent dans l’attente, un état très anxiogène et éprouvant s’il dure trop longtemps.
Toute la troupe embarque en début d’après-midi vers l’exploitation maraichère de Filou. Il partage sa passion et un lien fort se crée rapidement avec les jeunes qui ont pour certains aussi des expériences de culture dans leurs pays respectifs. Sous la serre, les mains se tendent pour attraper et savourer différents types de tomates et de concombres.
Ce lieu inspirera tout le monde un peu plus après la découverte de la rivière alimentant en eau les différentes parcelles. L’eau est rouge est boueuse mais même les moins à l’aise dans l’eau se laissent doucement accompagner. Ils brisent à leur rythme peurs et appréhension qu’ils ont envers ce milieu et éclosent ainsi dans leur confiance en eux. Cette baignade est thérapeutique et libératoire pour tout le monde.
Au sein de la majorité des villages, tout autour du monde, il y a toujours un arbre au centre du village. Nous avons choisi le nôtre. L’arbre à palabres de Conques, un beau tilleul, autour duquel la soirée se termine presque toujours pour ceux qui ont le plus de mal à trouver le sommeil. La situation actuelle en Afghanistan préoccupe certains jeunes pendant une grande partie de la soirée.


Jour 4 – [Réparer les survivants]
“Depuis que je suis à Conques, même dès Paris dans le train, j’ai un sourire que je ne comprends même pas”
La séance d’art-thérapie de ce jour fait travailler le lâcher-prise et la confiance en l’autre dans un exercice invitant à évoluer les yeux fermés avec un partenaire. Se laisser guider, soutenir, , porter sont des gestes simples qui peuvent être très difficiles pour les jeunes de Limbo et les ramener même à des souvenirs douloureux.
En début d’après-midi, un temps est pris afin de discuter de l’exposition de Limbo présentée en ce moment au public dans l’abbatiale. Lors du dernier séjour, images et textes avaient eu un effet puissant sur certains survivants, les ramenant sans prévenir à un passé qu’ils cherchent pour beaucoup à oublier. Mais il a aussi été très bénéfique pour d’autres, qui ont réussi à mettre des mots sur des souffrances qu’ils n’osaient évoquer avant cela. Dans le groupe d’août, certains sont curieux, se sentent prêts à découvrir le projet de film ‘Le chant des survivants’ qui a occupé Limbo en 2019. D’autres préfèrent ne pas se confronter à ces récits si proches des leurs.
La visite se fait ensuite par groupe de 3 avec toujours un encadrant pour traduire, reformuler, accompagner et prendre soin des jeunes lorsque les émotions surgissent.
Puis frère Pierre-Adrien nous ouvre toutes les portes de l’abbatiale pour une visite privée, presque intime dans son sanctuaire à lui. Privilège que tout le monde apprécie, notamment pour la vue depuis la plus haute tour et la pièce abritant les cloches séculaires.
Le séjour en est maintenant à sa moitié et les liens se sont profondément tissés. On ne reconnaît plus ceux qui prenaient leur temps pour se dévoiler, on croirait ces jeunes amis depuis plusieurs années. C’est le temps de faire un mini bilan qui permet à chacun d’exprimer les gratitudes pour ce qui est en train de se vivre. Tous sont reconnaissants de ce temps qui leur fait du bien. C’est une bulle où ils peuvent échapper d’une réalité, souffler et ne plus penser à leurs démarches, leurs combats. Les mots de Talal méritent d’être répétés : “depuis que je suis à Conques, même dès Paris dans le train, j’ai un sourire que je ne comprends même pas”. Tous les encadrants manifestent aussi leur émotion de ce temps partagé, de la confiance qui leur est accordée. L’amour et la joie sont perceptibles bien au-delà des mots, mais aussi dans les sourires, les regards. L’ombre du départ plane déjà et le retour dans la bruyante Paris n’enchante personne.


Jour 5 – [Réparer les survivants]
Les plus matinaux ou les plus couche-tôt s’offrent une balade aux aurores jusqu’à la croix qui domine sur la montagne en face de Conques. Une manière de réveiller son corps, d’honorer la vie et de s’ouvrir l’appétit.
Il est temps de saisir les fruits des séances d’art-thérapie, les premières compositions de groupes d’abord sans mouvement puis dans des improvisations à 2 voient ainsi leur jour.
Visite de la chambre des lumières à Saint-Cyprien. Une exposition lumineuse poussant au rêve et à l’imaginaire à travers de l’art contemporain et souvent abstrait. Pour être honnêtes, tous les jeunes ne se laissent pas captiver, ça arrive ! La rivière reste l’espace refuge face à la chaleur bien que l’eau soit très fraîche. Chacun trouve son espace selon sa confiance pour nager, les plus expérimentés accompagnent les plus novices, un magnifique exemple de transmission et de partage auquel tout le monde prend part.
Suite au dîner, nous assistons dans l’abbatiale à un concert lyrique. C’est nouveau pour tout le monde, une expérience artistique et musicale singulière.

