Les séjours à Conques

Juillet 2021

Jour 1 – [Réparer les survivants]

C’est reparti pour un séjour thérapeutique estival organisé par Limbo ! Grâce à nos donateurs, toujours présents lors de cette période d’épidémie compliquée, et à nos bénévoles motivés, nous pouvons continuer à partir.

Le point de rendez-vous est à Gare d’Austerlitz, 12h30 pour les plus ponctuels d’entre nous ! Nous arrivons tous au compte-gouttes. Melvin s’est chargé de faire le lien avec tous les garçons, Clémence a fait le lien avec les filles et Cléo s’est chargée des dernières courses avant de rejoindre le groupe au complet. Nous avons réussi à tenir nos objectifs : 10 jeunes sont présents. A 13h30 toute l’équipe était réunie, entre anciens participants et nouveaux membres ! 14h41, nous sommes tous en voiture, le train démarre… direction Conques.

Le trajet et la proximité permettent de vrais échanges et dès lors, les langues se délient, tout comme les sourires, malgré nos masques bien vissés. Quelques-uns se laisseront aller à raconter leur périple depuis plusieurs mois et les causes de leur dépression. Pour d’autres, il faudra encore un peu de temps.

21h38, arrivée à bon port ou nous sommes accueillis par Bernard, Stéphanie notre art-thérapeute pour ce séjour ainsi que Léa et Mélanie, bénévoles de Limbo présentent pour l’exposition LIMBO qui se déroulera pendant tout l’été. Nous découvrons les premières pierres dans l’ambiance nocturne du village. Le temps de répartir les chambres, nous nous retrouvons fissa dans la pièce maîtresse de la maison familiale : la salle à manger ! C’est là que nous nous retrouverons régulièrement et tenterons, doucement, de recréer un lien social.

Jour 2 – [Réparer les survivants]

Aujourd’hui, c’est l’entrée matière en compagnie de la team médiation présente sur place pour la tant attendue exposition sur LIMBO et « Le Chant des Vivants » (le film sur la reconstruction des jeunes de LIMBO à travers la musique qui sortira à la rentrée).

Conques est un tout autre lieu que celui que nous avons quitté en janvier. Les pèlerins et touristes sont présents en masse et le soleil nous permettra de longues balades propices à la reconstruction. Notre art-thérapeute, Stéphanie Dupagne, ouvre justement la séance dans la rotonde du Centre européen de Conques, en invitant notre attention vers les sons qui nous entourent. Nous nous familiarisons à de nouvelles voix, de nouvelles auras.

Clémence, notre nouvelle encadrante, est aussi étudiante en art-thérapie. Elle incite le groupe à joindre le chant et la danse. Les inhibitions tombent vite, chacun emprunte un personnage qu’il se fait un plaisir de jouer. Blessing se présente en se trémoussant, Guei, maintenant un habitué des lieux, saute de joie.

A la suite de cette première séance, au cours de la journée, les langues se délient. Certains en viennent à partager leurs expériences respectives en Libye. En confiance, les survivants présents s’ouvrent progressivement aux autres. Chacun s’expie de ses poids à sa façon. Bobo utilise le mot « libération ».

A 14h30, nous sommes de retour à la rotonde, le groupe au complet. Le repos, à nouveau nous attend, sous la guidance de Vanessa, une yogi locale qui nous invite à nous détendre par le son de ses bols tibétains et la douceur d’une berceuse japonaise. Certains ronflent, d’autres semblent visiter des contrées éloignées… Vanessa nous fait respirer en douceur et nous invite à nous abandonner à nous-même. Ayant anciennement encadré un atelier auprès des jeunes, elle sensibilise les participants aux difficultés que la relaxation peut présenter. Elle adapte ce voyage aux maux de chacun. Nous la quittons le cœur chaud et la mélodie en tête.

Il est 16h, direction la rivière ! Quelques glaces se perdent en bouche sur le chemin et personne n’échappe à l’enthousiasme du groupe, on finit tous dans l’eau rouge du Dourdon, nageurs et marcheurs ! Koulibaly part pour un cours de natation avec Melvin, les filles font séance barbotage/photoshoot et Bobo enjaille la scène. Avec un groupe mixte franco anglophone.

Durant le dîner, Cléo a pris le temps de refaire un point sur la journée de demain. Arrivée au dessert, Clémence glisse une proposition au groupe discutée plus tôt en équipe : que chacun partage une photo qui représente au mieux la journée selon lui et qui le touche le plus accompagné d’un seul mot. Ces photos, nous vous les partagerons la semaine prochaine, après nos habituels retours hebdomadaires

Jour 3 – [Réparer les survivants]

Comme toujours, le réveil sonne toujours trop tôt. Les survivants de LIMBO sont sujets aux cauchemars et insomnies. Pour leur donner un petit coup de main, Cléo a concocté une playlist spéciale afin de se lever en musique !

Au programme de la seconde séance d’art-thérapie, nous abordons le rapport à la voix et à la musique. Les musiques proposées par Stéphanie ont su éveiller des souvenirs doux, mais aussi moins agréables à certains. Sofia s’est retirée après une dizaine de minutes suivie par Cléo qui a su être une oreille attentive à ce qui la pesait. Nous n’exigeons pas des jeunes qu’ils racontent leur parcours. Mais lorsqu’ils en ressentent le besoin, savoir accueillir leurs paroles, parfois très dures au regard des violences qu’ils ont subies, est primordial. Pendant ce temps, d’autres se sont appuyés sur le collectif pour exprimer leurs ressentis.

La musique est vecteur de communication mais également de grands moments d’introspection. Pour permettre à chacun de revenir au moment présent, Stéphanie propose des exercices corporels qui rassemblent et ressoudent le groupe.

Après un déjeuner au calme à la maison familiale, le groupe est invité à participer à une visite guidée de l’Abbatiale. Tous n’y participeront pas, pour certains c’est un moment de repos mérité.

Melvin se charge de ceux qui restent, Cléo et Clémence se rendront à l’Abbatiale dont la visite sera tenue par l’équipe bénévole de CASA « Communautés d’Accueil dans les Sites Artistiques ». Y est présentée l’histoire de l’Abbatiale mêlée à celle de Conques, les particularités des vitraux réalisés par Soulages ou encore la présentation du cloître et de sa fontaine exauceuse de vœux !

 

A la fin de cette visite nous nous rejoignons tous de nouveau au Centre Européen pour y retrouver Filipo sur scène. Le comédien et ami de Limbo présente une réécriture du célèbre Pinnochio. Réadaptation musicale minimaliste, sur scène deux comédiens avec en arrière-plan quelques masques de la Comedia Dell’Arte. Deux flûtistes les accompagnent. Un bon jeu de lumière et l’atmosphère est donnée. L’aspect très visuel du spectacle permet à chacun de plus ou moins en profiter.

Jour 4 – [Réparer les survivants]

“Ce séjour aide à réparer des vies. Et pas seulement les nôtres, toutes celles qui en dépendent.”

Le réveil ce matin est plus rythmé que d’habitude, et ce n’est pas grâce à la musique. Stéphanie, notre art-thérapeute, est très malade et ne pourra pas assurer l’atelier de ce matin. Malgré tout, la journée se maintient comme prévu et les encadrants décident d’assurer la matinée d’art-thérapie. Clémence est étudiante en art-thérapie et a déjà un panel d’interventions à son actif, avec le soutien de Cléo et de Melvin, ils pourront proposer une matinée complète.

Nous commençons l’atelier sous le signe du Yoga mené par Cléo. S’enchaîne un temps de scan corporel – pour faire un état des lieux des sensations de nos corps – et d’échauffements pour entrer vivement en action. Les exercices proposés par Clémence s’alternent entre expression du corps, inspiration de la pratique théâtrale et variations d’exercices collectifs avant de passer en binôme et explorer les liens en miroir et les jeux de regard.

L’atelier mis en place par Clémence est avant tout un temps d’expression collectif pour symboliser sa place en tant qu’individu mais également un temps invitant à tisser un lien de confiance dans le groupe. Trouver le bon équilibre pour proposer un atelier d’art-thérapie avec des participants en proie à des traumatismes aussi ancrés demande du temps. Selon son expérience, la libération de la parole passe par la réappropriation du corps et la confiance envers les participants et intervenants.

Un rien peut suffire à ramener les participants dans un souvenir traumatique. Une musique, un regard durant un exercice, une consigne mal entendue ou interprétée, un partage qui renvoie à ses propres souvenirs… Tout cela peut les amener à créer des mécanismes de défense quasi automatiques. Les exercices, comme le temps que nous passons ensemble, permet de travailler en douceur sur ces automatismes et blocages.

L’atelier se termine en partage avec un mot ou plus qui résume leur état, puis sur un rituel proposé par Stéphanie lors des deux derniers ateliers qui permet de garder une continuité malgré le changement d’intervenante.

 

Le soir, nous nous mettons en route pour profiter d’une belle soirée chez Julie et Raphaël, un couple du coin rencontré à Noël. Mets locaux et jus en main, nous faisons la rencontre de leur famille et leurs amis – maraîchers et artisans locaux. Conversations intimes et parties de tennis de table effrénés rythment la soirée. Nous dansons tous ensemble. Sous les lueurs du feu de joie, un des participants nous confie : “Ce séjour est une source d’espoir pour nous qui sommes présents. Il aide à réparer des vies. Et pas seulement les nôtres, toutes celles qui en dépendent.”

Jour 5 – [Réparer les survivants]

Ce matin, Stéphanie est de nouveau contrainte de rester au lit. Une chose est certaine : pas de Covid ! Mais du repos s’impose pour elle. La relève est toujours assurée et l’atelier de ce jeudi se poursuit dans la lancée d’hier.

La thématique du jour proposée par Clémence se tourne vers l’appropriation de l’espace, toujours à travers le corps. Savoir investir les lieux en comptant sur la participation de tous pour assurer l’équilibre du “plateau” (espace dédié aux exercices). Nous créeons une dynamique de groupe et apprenons à investir l’autre. Sortir doucement de sa bulle pour inviter ses camarades à former un tout. Durant cet atelier, les exercices s’alternent entre repos et rythme plus poussé. Mais un temps de calme est nécessaire en entrée en matière tout comme en fin de séance pour laisser infuser chacun des exercices. Se recentrer et être à l’écoute du corps et non plus uniquement des pensées que l’on ressasse est une discipline que l’on apprend à acquérir doucement.

Clémence remarque comme l’attention des jeunes se décroche facilement durant l’atelier. Les souvenirs et les douleurs des jeunes peuvent les submerger à tout moment. Leurs troubles demandent une attention particulière. Savoir accueillir et gérer ces troubles est un point fondamental dans l’encadrement que nous leur proposons.

Pour nous, les encadrants, cela demande un certain recul afin de comprendre les affects et enjeux qui se jouent dans chacune des relations que nous créons. Mais s’ils sont de taille, ces moments sont précieux et se développent au fur et à mesure que nous poursuivons cette semaine. Les ateliers d’art-thérapie sont ainsi une base solide pour amener plus facilement à l’échange.

Jour 6 – [Réparer les survivants]

A la suite des conseils de notre psychologue référente Renée, les encadrants ouvrent un cercle de parole afin de revenir sur la journée d’hier. L’activité de la veille – une visite de l’exposition sur LIMBO dans l’église – a fait remonter à plusieurs jeunes de lourds souvenirs. Cleo invite les jeunes à s’exprimer sur leurs ressentis lors du séjour – négatifs et positifs. En premier lieu, le retour est positif. Les jeunes expriment leur joie nouvelle, le bonheur de cette nouvelle famille, de ces sentiments de sérénité et de confiance renaissants. Puis, à tour de rôle, chaque jeune revient sur la douleur traversée la veille. Certains se sentent inspirés par le parcours des jeunes de LIMBO qui ont su convoquer leur vécu et y travailler à travers la musique. A trop enfermer ses souvenirs en soi, on pourrait penser être en capacité de les maîtriser et finir par les refouler. Mais pour un temps seulement. Réussir à mettre des mots sur ses traumatismes est le premier pas vers la reconstruction. D’autres ne sont pas encore prêts et souhaitent ne plus jamais entendre parler de la traversée de la méditerranée, de la Libye, d’un passé dont le souvenir leur pèse. Chacun élabore en profondeur son expérience de l’exposition.

Une fois la parole recueillie, nous poursuivons la séance d’art-thérapie sur cette lancée d’expression personnelle. Stéphanie nous propose de mettre en mots ou en images une lettre à envoyer à un futur soi, à un ami imaginaire ou réel. Cet exercice libre d’interprétation donne la liberté aux jeunes de saisir une possibilité d’élaboration de soi, d’expiation et de cicatrisation. A la fin de l’exercice, chacun lit ou partage son message avec sincérité. Entre hommages, peines, souhaits et amour, la séance se termine dans une grande émotion. Bouleversés, nous nous serrons tous dans nos bras, nous remercions mutuellement de cet espace de partage et de confiance et nous nous félicitons du chemin parcouru.

Notre chemin a pris une belle direction ce soir-là. Pour notre habituelle dernière soirée du séjour en présence de tout un tas d’invités, nous nous attelons à la préparation d’un poulet yassa, de samosas aux légumes, d’une salade de chou rouge, d’un aloo palak, et d’un ragoût. Ces préparatifs se font en convivialité et l’on en apprend tous un peu plus sur les coutumes culinaires des pays d’origines de chacun. A l’heure venue, les jeunes se font une joie de présenter une magnifique table aux habitants de Conques. Ce dîner symbolise la gratitude des jeunes envers les artisans et amis qui nous ont reçus et ont partagé leur savoir-faire avec nous.

Enchantés de la célébration, nous terminons la soirée en danse, puis en chanson dans l’église. Et cette fois-ci, ce n’est plus Stéphanie qui nous guide, mais bien la voix profonde de Sofia, qui s’élève dans l’abbatiale. Accompagnée par Léa au piano, Sofia vainc sa timidité et nous fait voyager dans des contrées éloignées. Elle prend sa place avec courage et grâce. Nous l’écoutons, admiratifs de ses avancées depuis le début du séjour.

Jour 7, dernier jour – [Réparer les survivants]

Pour l’activité de cet après-midi, nous nous séparons en deux groupes. L’un se rend chez Christiane, qui nous enseigne l’art de la gravure. L’autre, se rend chez Marie pour confectionner de beaux bracelets. Chez la elle, les jeunes sont accueillis par des perles de toutes les couleurs et toutes les formes. Pendant que chacun confectionne un bijou pour tous les membres du groupe, Marie nous partage l’histoire de ses perles venues des 4 coins du monde. Elle nous partage aussi son amour pour l’Afghanistan et les liens qu’elle a tissés avec ce pays.

Chez Christiane, les jeunes sont très touchés par son savoir-faire, leur curiosité en est attisée et leur admiration est grande. Avant de rejoindre les autres, un jeune saisit un recueil de poésie intitulé “Viens, je t’attends”, écrit par le mari de la graveuse. Elle nous en lit un extrait décrivant la traversée du désert et les difficultés de l’épreuve. Une véritable ode aux personnes qui migrent par nécessité, une invitation à l’accueil, à la solidarité, au partage. Nous sommes émus de cette lecture et en achetons un exemplaire. Merci beaucoup Christiane !

La journée continue en poésie, à la rencontre de Peter Wessel. Le poète nous guide vers l’un de ces poèmes gravés à l’entrée de Conques. Il nous fait voyager à travers la lecture et la description de son poème “Conques, la quête”. Beaucoup sont touchés par la dévotion de cet homme à son art, par son esprit aventurier et sa qualité humaine.

Après cette belle rencontre, direction chez Yodit ! L’après-midi n’en finit plus de belles rencontres. Yodit nous accueille chaudement autour d’un café traditionnel érythréen. Nous discutons coutumes et intégration en regardant la télé, comme à la maison ! Sultani, jeune homme afghan, échange quelques fragments d’arabe avec elle et nous quittons son foyer chaleureux pour le dîner.

 

Quelques heures plus tard, nous quittons Bernard, les frères, l’équipe médiation et notre encadrante Clémence avec émotion. Direction Paris. Chez Limbo, nous savons que le retour n’est jamais facile pour les jeunes. Alors nous programmons déjà notre prochaine rencontre  afin de continuer à tisser ce lien social que nous avons noué à Conques. Nous nous reverrons samedi prochain, à la bibliothèque. A très vite !