JOUR 1
[Réparer les survivants] – Jour 1
Notre train arrive à 5h40 à la Gare de Saint-Christophe. Frère Cyrille, au volant du van de l’abbaye, arrive sur le parking de la gare. 30 minutes de trajet plus tard, nous arrivons à Conques sous un épais nuage de brouillard, alors qu’il fait encore nuit. Cléo, une des encadrantes, est déjà là pour nous accueillir. Nous nous reposons dans nos chambres avant de nous retrouver à la Grange pour le premier cercle.
Pour partir sur de bonnes bases, Cléo entame le « 1er cercle », un moment de présentation nécessaire si l’on veut accompagner les jeunes dans la reconstruction. Il permet de répondre à de nombreuses questions et d’établir la structure du séjour, les règles mais aussi les besoins de chacun. Qu’est-ce que Limbo ? Qu’allons-nous faire pendant une semaine ? Qu’attendre de ce séjour ?
Le premier lien que les jeunes créent avec les habitants sur place est avec les frères. Comme avec cette visite de l’abbaye de Sainte-Foy, par exemple. Et l’on comprend l’importance du 1er cercle, qui a permis de rassurer les jeunes sur le fait que notre association est laïque, et que chacun est libre de pratiquer sa religion. Et ce même si nous sommes accueillis par des moines. Certains ont fui leur pays parce qu’ils étaient persécutés pour leur religion. Le but n’est pas de raviver des blessures, mais bien de les aider à les réparer.
Pour terminer la journée, Cléo anime une séance d’étirements jusqu’au dîner. Douleurs chroniques, troubles du sommeil, crispations et atrophies dues au stress post-traumatique sont autant de symptômes que ces petits exercices aideront à soulager. Et demain, nous débuterons la danse thérapie.
[Réparer les survivants] - Jour 2
Cafés chauds en main, la peau encore froissée d’un sommeil réparateur, nous nous activons pour transformer la “Grange”, notre coin à nous, en un lieu de danse. Loredane, la danse thérapeute, introduit sa pratique et ses ateliers. Ses exercices tenteront de relier les jeunes à eux-mêmes, aux autres et à leur environnement. Il s’agit de se réapproprier son corps par le toucher et la voix. Être là, exister, se sentir vivant et vibrant.
Loredane entreprend tout un travail de lien aux autres pour reprendre confiance en l’humain, vivre l’attention, le soin, l’entraide, la valorisation de chacun. Et pour ces survivants qui ont frôlé la mort et qui se disent “je me suis vu mort, donc je suis mort”, c’est un travail vital pour se faire entendre, prendre sa place au sein du groupe et exister à nouveau.
Après une première matinée en thérapie, nous mettons la table en musique. Ces moments de partages autour d’un plat participent aussi à créer des liens et former une cohésion de groupe. Une cohésion essentielle pour que ce séjour soit bénéfique. Lors des séances d’art-thérapie, par exemple, il faut un laisser-aller, qui n’est pas évident même lorsqu’on est entouré de bienveillance.
Repus, nos visages ne tardent pas à s’étirer de fatigue. Notre rythme rompt avec celui engourdissant qu’ils connaissent en Cada. Et c’est éprouvant. Le but n’étant pas non plus de s’épuiser, nous nous accordons une petite sieste avant l’atelier de l’après-midi !
La journée s’étoffe avec la venue de Filippo, un membre de l’association LUSINE. Professeur de théâtre, Filippo nous initie à l’improvisation, à la gestion du déplacement dans l’espace, ainsi qu’à des jeux de regards. Ceux-là révèlent les différences culturelles et de genres entre nous et les différents espaces que nous partageons à Paris. Mariama interprète une scène à Gare du Nord, Bobo un sketch à Château rouge, et nous sommes tous bluffés par nos prestations ! Le rire est à son comble.

[Réparer les survivants] - Jour 3
Dernier jour de 2020 !
Avant de célébrer le réveillon, comme chaque matin, la journée commence par l’atelier de danse thérapie avec Loredane.
Après un échauffement corporel en cercle, notre art-thérapeute propose un exercice de sophrologie. Une méthode basée sur la respiration et la relaxation. Cela a parlé à certains, mais le fait de fermer les yeux en à ramener d’autres vers des souvenirs pénibles. C’est peut-être encore trop tôt pour certains. Et c’est normal. Les propositions de Loredane au cours des 5 jours ont été progressives, de plus en plus impliquantes au fur et à mesure que le sentiment de sécurité au sein du groupe se renforce par l’implication et le partage des expériences. Mais les jeunes ont besoin d’un soutien sur le long terme. C’est pour cette raison que nous avons mis en place des ateliers d’art-thérapie une fois par semaine sur Paris.
Puis nous passons l’après-midi en cuisine pour le repas du réveillon. Au menu : riz afghan préparé par Reza, poulet Yassa cuisiné par Mariama et Tiep bou diem concocté par Gracia. Le dessert, une bûche poire-chocolat, nous est offerte par la femme de notre cher chef cuisinier Sébastien.
Nous sommes déjà en début de soirée et il est l’heure de recevoir nos invités. Deux frères musiciens de Lusine, Laurent et Vincent, donnent un petit concert de rock-blues privé. Julie et Raphaël, un jeune couple aveyronnais, chez qui nous irons dimanche, sont également présents. Frère Pierre-Adrien et Cécile Allegra, la présidente de Limbo, nous rejoignent de feu et de joie pour marquer 2021. Certains jouent les stars de la chanson derrière les micros et improvisent même plusieurs compositions originales. Bobo nous partage un très beau texte écrit par ses soins. Nous dansons, rions, et chantons. Il est minuit et nos cœurs sont remplis d’émotions : « Bonne année ! ».
S’ils sont loin de leur pays, leur famille et leurs amis, les jeunes de Limbo ne seront pas seuls ce soir. Nous commencerons cette nouvelle année ensemble. Et ensemble, nous ferons un pas de plus vers la reconstruction.
[Réparer les survivants] - Jour 4
Elle était belle, la soirée d’hier soir. Pleine de vie, de partage. Nous nous accordons un peu de repos ce matin : l’atelier de danse thérapie commence plus tard que d’habitude. Avec un objectif : se débarrasser, à travers le mouvement, de tout ce qui nous encombre. Il faut y mettre de l’énergie. Puis nous dansons, toujours en deux groupes pour avoir l’espace nécessaire. Immédiatement, le défoulement dégage une grande énergie.
Après le déjeuner, une partie du groupe part en balade dans les hauteurs de Conques. A leur retour, nous retrouvons Filippo pour son deuxième atelier de théâtre. Il propose de le commencer en plein air dans le jardin de la Maison Familiale. Un soleil hivernal réconfortant avait fait son apparition. Aujourd’hui, afin de gagner confiance en nous et d’apprendre à porter notre voix, nous réalisons de nombreux jeux de coordination du geste et de la voix. Des exercices pas banals, quand on sait que certains parlent très peu, voire pas. Car c’est aussi ça, l’exil.
Le mutisme est un des symptômes récurrents de stress post-traumatique. C’est ce qui arrive lorsqu’il vous subissez quelque chose de tellement brutal que vous ne pouvez l’assimiler. Aucun jeune passé en Libye n’était préparé à ce qui lui est arrivé. En vérité, aucun être humain ne peut être préparé à une telle barbarie. C’est d’ailleurs pour cela que certaines personnes doutent encore de l’existence des camps de concentration ou des camps en Libye : c’est si violent que votre système de pensée ne peut l’intégrer. Les jeunes de Limbo, ayant tous vécu cette violence, sont comme suspendus, envahis d’images fixes et muettes qui les hantent. Ils ont perdu toute confiance en l’autre, qui n’est plus qu’un persécuteur. Et la seule façon de s’en protéger, est de ne plus lui adresser un mot. Le lien avec l’autre a été violé. Pour certains dans leur corps, pour tous psychiquement. Avec Limbo, on essaye d’apprendre à redevenir sujet de sa vie quand on a été l’objet d’un autre.
Il y a un avant mais il y aura aussi un après la Libye.

[Réparer les survivants] - Jour 5
La journée commence par l’atelier de danse thérapie avec Loredane. Nous parlons du mythe du Phoenix qui renaît de ses cendres, plus fort. « Vous êtes tous des phoenix », affirme Loredane aux jeunes, qui chaque jour prennent un peu plus confiance en eux. Elle demande aux participants d’écrire sur un bout de papier ce qu’ils souhaitent laisser à ce feu et ne plus porter dans leurs vies. Sur un autre, ils inscrivent ce qu’ils souhaitent donner à l’eau et gagner dans leurs vies. Dans le silence… chacun prend le temps d’y réfléchir. C’est un exercice compliqué pour certains. Puis, tous ensemble, en compagnie de Cécile et frère Pierre-Adrien, nous nous rendons à la rivière. En musique, les uns après les autres, nous laissons au feu ce que nous ne voulons plus dans nos vies et remettons à la rivière nos souhaits de demain.
Après un bon déjeuner, nous nous rendons à quelques minutes en voiture de Conques. Certains visitent le village voisin pendant que d’autres participent à l’atelier de bijoux de Marie Dominique. Ancienne fromagère, Marie Dominique s’est reconvertie il y a quelques années et vit maintenant de sa passion. Elle nous explique son artisanat, nous montre les différents outils qu’elle a à disposition et répond aux nombreuses questions des jeunes. C’est aussi ça, la beauté de Limbo et de Conques. La vie en commun, la solidarité et l’échange dans un environnement sécurisant.

[Réparer les survivants] - Jour 6
A nouveau ce matin, nous nous concentrons tout particulièrement sur un travail autour de la voix. C’est bientôt la fin du séjour, et cette semaine a permis une réelle dynamique de groupe avec beaucoup d’attention, de soutien des uns par les autres et de tolérance. Le groupe Whatsapp nous permettra de rester en lien, et Lorédane nous propose déjà de se revoir chez elle autour d’un repas à la fin du mois.
L’après-midi, nous allons chez Julie et Raphaël, des habitants de la région. Leur maison si chaleureuse est située dans les collines, au bord de la majestueuse rivière du Lot. Nous profitons du beau temps pour aller nous balader. Julie nous fait visiter leur potager et nous présente ses poules : Dallas, Pierrette et Dwayne, qui amusent beaucoup les jeunes. Raphaël sort un ballon et, ni une ni deux, une partie de foot s’improvise sur les rives du Lot.
Nous retournons nous mettre au chaud et dégustons notre première galette des rois de l’année. Ce sont Makalou, Bobo et Guéi qui ont les fèves ! Ils arborent avec fierté leurs couronnes. Nous terminons l’après-midi en jouant à des jeux de société et en savourant ce moment privilégié et hors du temps au coin de la cheminée, tellement reconnaissants de cette invitation.
C’est bientôt l’heure de dire au revoir. Nous devons rentrer à Conques et officiellement clôturer ce séjour par le « dernier cercle ». Un peu comme celui que nous avons fait au tout début du séjour. Cécile y participe, elle encourage les participants à poursuivre ce cheminement vers la résilience. Malgré la force du séjour, des quotidiens chargés attendent les demandeurs d’asile à la porte de Paris. Pour clôturer ce cercle, chacun récupère sa bougie offerte par Monique, une habitante de Conques que nous avons cessé de croiser tout au long de notre séjour. Sur les bougies nous pouvons lire « révolution fraternelle ». C’est un souvenir lumineux et plein de sens que nous pourrons ramener avec nous à Paris.
