Les séjours à Conques

Octobre 2020

Malgré tous les remous que l’on connaît, les jeunes ont pu partir à Conques pour la Toussaint !
Un séjour un peu particulier mais peut-être encore plus important que d’habitude pour les 10 participants qui souffrent de traumatismes psychiques importants. Pour eux, il était urgent et vital de retrouver une expérience en communauté et un cadre stable et apaisant.

A cause des nouvelles annonces sanitaires, nous ne sommes partis que 4 jours. Mais ces 4 jours nous ont offert une parenthèse riche en bienveillance, en échanges et en oxygène avant le confinement des jeunes de Limbo dans les CADA (Centre d’accueil pour demandeur d’asile). L’attente, la passivité, l’ennui et le repli sur soi rythment la vie dans ces centres. Cette semaine, retrouvez chaque jour l’expérience des jeunes racontée par les encadrants, Margot, Cléo et Melvin. 

JOUR 1

Une fois installés dans le train, nous apprenons la nouvelle du re-confinement, souvent source de “temps de vide”. Mariame exprime sa détresse à Tula, l’art-thérapeute. Nous, les encadrants, sommes préoccupés par l’ampleur que cette nouvelle mesure prendra dans le quotidien des bénéficiaires. Bien qu’appréhensifs du retour parisien, nous sollicitons la bonne humeur de Tula et comptons sur le pouvoir d’un présent partagé et la joie de la perspective de ces quelques jours ensemble. Nous ne pourrons pas rencontrer les artisans de Conques, mais heureusement, la nature reste accessible !

Après une longue nuit effrénée, nous sommes chaleureusement accueillis dans l’auberge de la “Maison Familiale” de Conques et non à l’abbaye comme à l’accoutumée. Trois frères ont été testés positifs au Covid-19.

 Après une douche et un bon petit-déjeuner, nous nous aventurons dans la brume matinale, pour une balade dans les vignes sous la pluie. Les jambes de coton, nous gravissons la colline, et faisons connaissance. L’ambiance est rieuse, détendue. Les langues commencent déjà à se délier. Mariama confie notamment à Margot à quel point elle est heureuse d’être là : « je n’aurais jamais cru avoir la chance d’être dans un lieu comme ça un jour ». Elle explique être arrivée en France quelques mois plus tôt et y avoir fait beaucoup de rencontres chaleureuses. Certain.e.s évoquent, en observant les collines, des souvenirs de la traversée du Maroc.

La première séance d’art-thérapie avec Tula permet aux jeunes de créer, tous ensemble, un personnage bienveillant qui veillera sur le groupe pendant le séjour. Feutres, crayons, et collages sont mis à disposition pour la création sur papier de cette figure… La journée se termine par une séance de yoga, animée par Cléo, encadrante. Guei, avec sa bonne humeur communicative et son charisme de leader, se propose d’animer une séance sportive d’abdos qui part très vite en fou rire général. Le contraste avec la première prise de contact du mercredi à la gare est frappant. L’esprit de groupe et la familiarité s’installent déjà.
 

JOUR 2

Le village de Conques se réveille sous une épaisse brume qui cède très vite la place à un grand soleil. Nous sommes épris de gratitude d’être ici, ensemble. On profite du jardin de la maison familiale pour un réveil énergique. Nous faisons quelques échauffements, puis faisons circuler une “boule d’énergie » (covid friendly), exercice qui réveille doucement les corps, crée un sentiment de cohésion de groupe et une modeste décontraction, favorisant le travail thérapeutique qui suivra. Dans cette atmosphère bienveillante, nous entamons la séance d’art thérapie du jour.
Une séance qui commence en chanson. Tula demande aux jeunes de chanter « leur musique », celle qu’ils ont dans la tête, qui les fait se sentir bien. Savane, Guei et Baba Gale, plus à l’aise que les autres, improvisent un petit concert au reste du groupe. Vient ensuite la peinture, avec une consigne « Dessiner un paysage en rapport avec sa musique ». Pour certains, ce paysage rappelle de joyeux moments du passé, de leur vie d’avant. Avant la guerre, avant la Libye, avant la traversée. C’est un terrain de football pour Guei, un grand soleil pour Abdu, un lit pour Mariame. Savane, en revanche, dessine un personnage. Elle confie le secret de son identité à Melvin. La séance se termine comme elle a commencé : en musique et dans la bonne humeur générale.
 
Au moment du repas de midi, le verdict tombe : le trajet retour se fera dimanche soir, et non mardi. Deux précieuses journées en moins dans notre bulle aveyronnaise. La déception est grande au sein du groupe. Elle nous couperait la faim, presque. Pour ne pas laisser la déception s’installer, nous partons pour une longue randonnée dans les couleurs automnales du vallon. Nous remplissons nos poumons d’air frais.
Abdu et Mohamed font la course en tête de file. Ils se dégourdissent les jambes, les bras, l’esprit. Ce sentier à travers la forêt est propice à la libération de leur énergie quotidiennement contenue, dans l’attente inhérente aux processus administratifs de demande d’asile. A l’inverse, la montée met Fatoumata au défi : “Je suis fatiguée.” Soutenue par Melvin, Cleo et Guei qui l’invitent à prendre repos, elle riposte avec vigueur : “Allez, allons-y ! Il faut finir.” En arrivant au point de vue sur Conques, la vue à couper le souffle est la récompense à son effort. Sur le chemin du retour, encouragée par le groupe, elle arrive en première à la maison familiale. Victoire.

JOUR 3

Le réveil du samedi matin se fait en musique. Frère Damien nous invite à nous joindre à un pèlerin de passage à Conques, qui se propose de nous faire découvrir des chants du Zimbabwe accompagnés d’un instrument traditionnel du pays : la mbira. Il explique : « Ce sont des prières qui sont jouées dans les cérémonies religieuses qui durent pendant des heures et où tout le monde danse et chante ». L’occasion de mettre en pratique l’exercice de visualisation donné par Tula en art-thérapie la vieille (“une musique qui fait du bien”).

Après sa démonstration, le musicien nous propose de participer. Guei, tambour en main, rejoint la musique. Le musicien nous propose un dialogue : à une phrase qu’il chantera, nous lui répondrons par une autre. Tout le monde se prête au jeu. Une belle rencontre qui fait du bien et élargit les horizons sociaux alors que le confinement nous empêche de nous mêler aux habitants de Conques.

Le Frère Damien nous invite ensuite à visiter l’église. Une partie du groupe suit, pendant que l’autre s’affronte au Mölkky dans le jardin de la maison familiale. Abdu, Mohamed et Al Hussein se découvrent un talent certain pour ce jeu de quilles finlandais auquel ils n’avaient jamais joué. Parallèlement, la visite de l’édifice n’est pas anodine : les jeunes sont impressionnés par la vieille histoire de Conques.

L’après-midi se poursuit dans le jardin, où on installe des tables pour une séance d’art-thérapie au soleil. Certains finissent leurs œuvres inachevées, d’autres suivent les nouvelles instructions : “sur une feuille commune, à deux, représentez votre “chez vous” respectif.” Rivières, cases, poules, arbres, personnages, drapeaux et frontières prennent forme sous les pinceaux. Autant d’éléments déclencheurs de leur passé. Puis, chacun présente ses œuvres d’art respectives. Pour clore la séance, à partir des éléments (feuilles, pommes de pin, fruits, glands…) ramassés pendant notre balade de la veille, nous nous regroupons et formons un visage sur le sol – création collective symbolique de notre partage.

Ce soir, c’est le grand soir. Avant notre dernière nuit à Conques, une fête est prévue dans la grange. Après s’être accoutumés aux us et moeurs de la région, les bénéficiaires nous invitent à faire un pas vers leur patrimoine culturel – qu’ils n’ont plus tant l’occasion de partager. La préparation permet à chacun.e de mettre la main à la pâte. Aux fourneaux, Savane, Mariam, Mariama, Fatoumata et Abdu nous concoctent de bons plats de leurs pays : riz, poulet en sauce, et poisson au four. Ces échanges en apparence prosaïques donnent lieu à la possibilité de se livrer différemment. Partager un peu d’eux-mêmes c’est aussi une manière de dire “je suis vivant”. Et recevoir des autres permet d’entrevoir doucement la perspective de refaire confiance au genre humain. Car les traumatismes engendrés par la torture produisent une grande méfiance vis-à-vis de l’autre. Un survivant, Halefom, en témoignait dans Voyage en barbarie (de Cécile Allegra et Delphine Deloget) : “ quand je vous parle en interview c’est étrange. Je me dis “mais qui sont ces gens?”. Je vous regarde et soudain j’ai peur. Je me demande si vous n’allez pas me faire du mal. Puis je reviens à la réalité.”
 
Nous mangeons par terre en écoutant Guei qui s’improvise pianiste de la soirée. Margot en a les amygdales pimentées et les oreilles qui sifflent ! Petite danse digestive tous ensemble au rythme du tam-tam, et percussions improvisées (sacs de riz). C’est le dernier moment de folie avant demain… Nous rentrons à Paris.

JOUR 4

Dernier jour dans la maison familiale de Conques. Dernier petit-déjeuner et dernière séance d’art-thérapie. Tula leur confectionne un cahier de création, les préparant à un retour à Paris confiné : « c’est votre carnet de confinement. A l’intérieur, il y a une page pour chaque jour. Quand vous serez à Paris, vous pourrez y dessiner ou y écrire quelque chose qui vous fait vous sentir bien ». L’art-thérapeute insiste sur le fait que les semaines à venir vont être difficiles et qu’il faudra se concentrer au maximum sur des choses positives pour passer ce cap.
 
Le retour à Paris occupe les esprits, mais la nature de Conques fait toujours magie. Une balade nous porte le long de la rivière. Amine, Mariame, Baba Gale, Al Hussein et Savane profitent du paysage pour une séance photo shoot. Autant de clichés qu’ils vont pouvoir partager avec leurs amis, leurs familles et qu’ils pourront revoir une fois rentrés.
La journée se déroule paisiblement. Abdu proteste à l’approche de notre départ : « Je ne veux pas reprendre le train pour Paris, je veux rester à Conques ». Le retour à la réalité est la plupart du temps un choc. C’est pour cela que nous continuons de garder le contact avec les jeunes. Pour combler ce manque, LIMBO a mis en place des séances de médiation culturelle une fois par semaine depuis janvier dernier. Elles sont en suspens pour l’instant, mais nous avons organisé des séances en visio de yoga, des cours de français, et même des cours de guitare depuis peu !
Avant le départ, c’est l’heure du dernier cercle. Le moment de clore les 4 journées intensives que nous avons vécues. Les encadrants expliquent : « on va rentrer à Paris mais tout n’est pas fini pour autant. On est une grande famille maintenant et vous pouvez compter sur nous même à la fin du séjour ». C’est ensuite aux 10 jeunes de prendre la parole. Abdu, Mohamed, Mariame, Al Hussein, Mariame, Savane, Baba Gale, Fatoumata, Guei et Amine s’expriment à tour de rôle. Même les plus mutiques prennent quelques minutes pour exprimer leur gratitude. Envers l’association, le lieu et les encadrants pour ces quelques jours de souffle, de voyage, d’oubli. Des larmes coulent entrecoupées par de beaux éclats de rire : une belle note de fin qui résume la densité de notre séjour!
 
Puis, le train couchette nous emmène à Paris où le confinement va commencer pour tout le monde. Malgré l’appréhension, nous sommes tous emplis de vie, de nouveaux souvenirs à déguster et d’une résilience ravivée, renforcée, prêts à traverser les semaines à venir.